2 L’ÉNONCIATION
LES OUTILS DE L’ANALYSE LITTÉRAIRE 9
L’énonciation est un acte de langage par lequel un locuteur (celui
qui parle) adresse un énoncé à un destinataire. Étudier l’énonciation
d’un texte, c’est définir la situation d’énonciation et déterminer
quel est le degré d’implication du locuteur dans son énoncé.
La situation d’énonciation
Pour définir la situation d’énonciation d’un texte, il faut préciser
qui sont le locuteur et le destinataire et quels sont le lieu et le
moment de l’énonciation.
À Madame de La Fayette
À Paris, le mardi 24 juillet 1657.
Vous savez, ma belle, qu’on ne se baigne pas tous les jours;
de sorte que pendant les trois jours que je n’ai pu me mettre
dans la rivière, j’ai été à Livry, d’où je revins hier, avec dessein
d’y retourner quand j’aurai achevé mes bains, et que notre abbé
aura fait quelques petites affaires qu’il a encore ici.
(Madame de Sévigné, Lettres, 1657)
La situation d’énonciation de cette lettre est explicitée par un
certain nombre d’indices:
• le locuteur est l’auteur de la lettre, c’est-à-dire Madame de
Sévigné; elle se désigne dans son propre énoncé par le pronom « je »;
• le destinataire est Madame de La Fayette, à laquelle la lettre est
adressée; elle est désignée dans l’énoncé par le pronom « vous » et
par l’apostrophe « ma belle » ;
• le lieu et le moment de l’énonciation sont précisés par l’en-tête
de la lettre, « À Paris, le mardi 24 juillet 1657 ».
Les marques de présence du locuteur
Pour déterminer le degré d’implication du locuteur dans l’énoncé,
il faut chercher les différentes marques de la subjectivité:
• les pronoms personnels faisant référence au locuteur, comme je
ou nous, ainsi que les adjectifs possessifs (mon) et les pronoms
possessifs (le mien);
• les déictiques (connecteurs spatiaux ou temporels) qui ne peuvent
se comprendre que par rapport au locuteur lui-même: démonstratifs
comme ce ou cela, adverbes comme ici et maintenant;
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• l’emploi du présent d’énonciation, qui montre que l’énoncé est
lié au moment où le locuteur le prononce;
• les modalisateurs, qui expriment la certitude ou le doute du locuteur
par rapport à son propre énoncé; ils peuvent être des auxiliaires
de mode (comme devoir, sembler…), des adverbes (comme
assurément, peut-être…) ou même certains emplois du conditionnel ;
• les termes évaluatifs, à connotations péjoratives ou mélioratives;
• une ponctuation affective, en particulier l’exclamation.
L’énoncé ancré dans la situation
d’énonciation: le discours
Lorsque l’énoncé comporte un certain nombre de marques de
la présence du locuteur et fait référence à la situation d’énonciation,
on le désigne comme un discours. Ce type d’énoncé donne une
impression de subjectivité.
Considère, mon amour, jusqu’à quel excès tu as manqué de
prévoyance. Ah! malheureux! tu as été trahi, et tu m’as
trahie par des espérances trompeuses.
(Guilleragues, Lettres portugaises, 1669)
Cet énoncé est ancré dans sa situation d’énonciation : la première
personne (« mon », « me »), l’implication du destinataire (l’apostrophe
« mon amour », la deuxième personne), les termes évaluatifs
et affectifs (« mon amour », « malheureux », « trompeuses », etc.),
ou l’exclamation montrent l’implication du locuteur et la subjectivité
apparente de l’énoncé.
L’énoncé coupé de la situation
d’énonciation: le récit
Lorsque l’énoncé comporte peu de marques de présence du
locuteur, voire pas du tout, et qu’il ne fait pas référence à sa situation
d’énonciation, on le désigne comme un récit.Ce type d’énoncé
donne une impression d’objectivité.
On peut trouver des femmes qui n’ont jamais eu de galanterie;
mais il est rare d’en trouver qui n’en aient jamais eu qu’une.
(François de La Rochefoucauld, Maximes, 73, 1665-1678)
Cette maxime de La Rochefoucauld est coupée de sa situation
d’énonciation: le pronom indéfini « on », le présent de vérité générale,
le tour impersonnel « il est rare de… » montrent
l’effacement du locuteur et l’objectivité apparente de l’énoncé.
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