Division des politiques linguistiques, Strasbourg
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L’enseignement de la littérature
Irene Pieper, Johann Wolfgang Goethe-Universität Frankfurt
Conférence intergouvernementale :
Langues de scolarisation : vers un cadre pour l'Europe
Strasbourg 16-18 octobre 2006
Division des Politiques linguistiques, Strasbourg
Division des politiques linguistiques
DG IV – Direction de l'éducation scolaire, extra-scolaire et de l'enseignement supérieur
Conseil de l'Europe, F-67075 Strasbourg Cedex
Sommaire
Synthèse 6
1. Littérature et langue(s) de scolarisation 6
1.1 Enseignement littéraire et notion de « literarische Bildung » 7
1.2 L’évolution des programmes d’enseignement depuis la fin des années 1970 et buts fondamentaux de l’enseignement littéraire 8
1.3 Enseignement primaire et secondaire : de l’apprentissage avec la littérature à l’apprentissage sur la littérature ? 9
1.4 Canon et critères de sélection des textes 10
1.5 Lecture littéraire, compétences et capacités de lecture 11
1.6 Lecture littéraire, évaluation et « literarische Bildung » 13
2. L'enseignement de la littérature en langue étrangère 14
3. Perspectives : La littérature dans le cadre pour les langues de scolarisation 14
Bibliographie 16
Synthèse
Dans cette étude, nous nous intéressons à l’importance particulière que revêt la notion de « Bildung » dans l’enseignement littéraire. Ce concept s’est élargi depuis les années 1970, époque à laquelle l’évolution de la société, des sciences et des arts a considérablement modifié la conception du langage, de la littérature et de l’apprentissage : les programmes d’enseignement des langues et de littérature, qui comportent souvent des textes pragmatiques et d’autres médias, sont depuis axés sur le lecteur apprenant et son développement. En conséquence, les critères de sélection des textes ne se limitent plus au canon littéraire. En matière de littérature, l’un des objectifs prioritaires dans l’enseignement littéraire est d’encourager les étudiants à lire et à vivre leur rencontre avec la littérature comme un enrichissement personnel. On retrouve aussi souvent des traces d’études littéraires dans l’enseignement, qui fonctionne comme une propédeutique surtout au niveau du lycée. Cette démarche peut parfois aller à l’inverse de celle axée sur l’apprenant. Pour ce qui est des compétences, le débat porte sur la question de savoir si l’on peut définir un domaine de compétences distinct pour la lecture littéraire. Dans cette étude, nous défendons l’idée qu’une approche intégrale insistant sur le lien entre lecture générale et lecture littéraire est particulièrement utile pour les apprenants. L’enseignement doit aussi offrir des expériences littéraires permettant la « literarische Bildung ». Un des défis pédagogiques actuels est de lancer des processus de « Bildung » qui ne soient pas limités à des certains milieux sociaux. Dans un contexte européen, on pourrait encourager les expériences transculturelles.
Dans le domaine de l’éducation littéraire en particulier, il faut situer la priorité donnée aux compétences et à leur évaluation dans le cadre d’une conception plus large des objectifs de l’éducation.
1. Littérature et langue(s) de scolarisation
La lecture littéraire est généralement incluse dans les programmes linguistiques de l’enseignement primaire et secondaire. Elle relève tout particulièrement de l’enseignement scolaire des langues. C’est pourquoi nous nous intéressons ici surtout à la littérature dans le cadre de la langue de scolarisation (langue de l’école). Pour les langues étrangères, les questions à soulever sont analogues. Il ne convient pas, semble-t-il, d’envisager isolément la littérature dans l’ensemble du programme, bien qu’elle puisse parfois servir de source pour étudier des problèmes spécifiques dans les domaines de l’éthique, des études religieuses ou de l’histoire, surtout avec les jeunes élèves. Ces phénomènes semblent plutôt isolés et ne sont généralement pas formalisés dans les programmes d’enseignement.
La manière dont l’apprentissage littéraire se constitue au sein des différents systèmes éducatifs est influencée par les conceptions actuelles de l’éducation (« Bildung »), de la culture, de l’esthétique et de la littérature, du langage et de l’apprentissage. Traditionnellement, les études littéraires exercent une forte influence sur les programmes de littérature. Puisque le cadre de la langue de scolarisation concerne l’enseignement dans les classes de 1 à 10, notre étude a pour objet d’examiner l’enseignement littéraire à partir de l’enseignement primaire. On verra vite que, pour ce faire, il faudra insister davantage sur le développement et l’apprentissage que sur la partie propédeutique des programmes d’enseignement - souvent au cœur de la didactique en matière de littérature. L’étude manque d’objectivité au moins à deux égards :
- Elle est écrite par un universitaire allemand qui n’a pas une vue d’ensemble systématique de l’enseignement littéraire en Europe.
- Elle s’intéresse à la lecture littéraire et aux liens entre lecture et lecture littéraire. Le lien entre littérature et expériences culturelles par d’autres médias n’est qu’évoqué et mériterait de faire l’objet d’une autre étude.
1.1 Enseignement littéraire et notion de « literarische Bildung »
La « Bildung » reste une notion essentielle en Europe. Si le terme fait l’objet d’usages et de débats bien différents, on a récemment fait remarquer qu’au sein des sociétés modernes, un consensus pratique peut se dégager. S’agissant de la société, les sujets sont préparés à la citoyenneté afin de participer à la vie publique. Pour ce qui est du sujet, les personnes devraient acquérir les capacités nécessaires pour conduire et façonner leur vie comme un processus d’apprentissage malgré les incertitudes du travail, de la vie professionnelle et de la situation sociale. En général, la « Bildung » a pour but d’élaborer d’une manière normative la relation entre des individus et la société (voir l’expertise allemande sur les normes éducatives par Klieme et autres 2003, 51).
D’après ce consensus, la « Bildung » dans le domaine de la littérature (enseignement littéraire) se définit par rapport à la vie culturelle. L’apprentissage littéraire devrait permettre l’épanouissement personnel dans un contexte culturel. Les élèves devraient être initiés à la vie culturelle de la société et se voir offrir les possibilités d’y participer.
A l’instar du consensus pratique sur la « Bildung », la participation à la vie culturelle devrait offrir un concept plutôt neutre par rapport à la notion traditionnelle de « l’introduction au patrimoine littéraire national » par le biais de l’enseignement littéraire : le lien traditionnel entre la « Bildung », la culture élevée des classes favorisées et ses canons, doit souvent être considérée comme problématique (voir Klieme et autres 2003, 79 ; voir la distinction de Terry Eagleton entre culture et CULTURE ; Eagleton 2000). Contrairement à cette connotation de « literarische Bildung », la « culture » aujourd’hui est ouverte à des concepts et expériences de la vie culturelle. La possibilité d’y participer doit alors être offerte à tous les secteurs de la société.
Dans de nombreuses sociétés occidentales, on observe un changement en faveur d’une conception de la vie culturelle plus ouverte à la variété des cultures et à l’existence sociale. On en voit des traces dans les recherches actuelles sur la culture littéraire : dans la conception allemande, l’utilisation de termes comme socialisation littéraire, socialisation de la lecture et socialisation des médias marque une évolution vers une perspective descriptive. La recherche correspondante analyse les évolutions : « Comment un sujet devient-il membre de la société eu égard à la lecture littéraire/la lecture/l’utilisation des médias ? ». Le rôle actif de l’individu dans le processus de socialisation est mis en avant.
Toutefois, les programmes nationaux ainsi que le cadre de l’EL doivent aller plus loin pour répondre aux questions : « Qu’est-ce que les apprenants doivent apprendre dans le domaine de la littérature ? » « Quelle progression peut-on et doit-on réaliser ? » « Quel est le contenu de l’enseignement littéraire et quelles compétences doivent être acquises ? ».
Klieme et autres considèrent qu’on ne peut répondre à ces questions – pour toutes les disciplines scolaires – que par rapport aux principes fondamentaux de la discipline / du sujet. Le résultat normalisé que visent les systèmes éducatifs doit s’en faire l’écho (Klieme et autres 2003, 18).
Mais il n’y a pas de consensus sur ces principes fondamentaux dans le domaine de l’enseignement littéraire. Bien au contraire, la recherche et la formation des enseignants à l’université et dans les instituts universitaires montrent que les études littéraires actuelles sont très différentes et ne correspondent pas à la sous-discipline de l’enseignement littéraire, notamment dans le cas de l’enseignement primaire et du début du secondaire (l’enseignement secondaire de la classe 10 à la classe 12/13, qui comprend souvent une propédeutique pour les études universitaires).
Il n’en reste pas moins que les études littéraires, la linguistique et les études pédagogiques ont déterminé le profil de l’enseignement littéraire.
1.2 L’évolution des programmes d’enseignement depuis la fin des années 1970 et buts fondamentaux de l’enseignement littéraire
Dans le cadre des programmes de la langue de scolarisation, le programme de littérature a connu des changements considérables dans de nombreux pays occidentaux, surtout la fin des 1970. L’évolution vers une conception pragmatique et communicationnelle de la langue a influencé la manière d’aborder le langage en général. L’influence de la théorie critique et de la sociologie de la littérature a modifié considérablement les études littéraires et – avec un retard habituel – l’apprentissage institutionnel. La notion de littérature en tant que forme textuelle spécifique qui peut être distinguée d’autres formes (« textes pragmatiques ») est devenue problématique. La priorité donnée aux textes poétiques du patrimoine culturel a été suivie par une conception plus large du texte. Depuis, on ne s’est pas seulement intéressé aux textes littéraires mais aussi aux textes pragmatiques et à d’autres médias. Il semble que les pays d’Europe orientale n’ont pas participé immédiatement à cette évolution. Toutefois, on observe un changement analogue en Pologne depuis les années 1990 (Awramiuk 2002).
Ces changements n’ont pas seulement concerné la littérature, la notion de canon et les critères de choix des textes mais aussi la conceptualisation de la compréhension littéraire. La théorie de la réception (voir Hans Robert Jauss ; Wolfgang Iser ; Umberto Eco) a beaucoup privilégié le lecteur en tant que fonction décisive dans la construction du sens. Les études empiriques ont permis de mieux comprendre les procédures de lecture des lecteurs empiriques, leurs motivation et expériences de gratification. Certains chercheurs dans cette tradition ont souligné la fonction constructive des lecteurs, le facteur textuel n’étant donc pas considéré comme essentiel (voir S. J. Schmidt).
Par ailleurs, on observe un intérêt appuyé pour l’apprentissage et l’apprenant (voir Ongstad 2006). Ces dernières années, les recherches sur la socialisation par la littérature ont montré que la littérature contribue beaucoup à la lecture générale, aux compétences générales de lecture et que la motivation à lire est un facteur décisif.
A la suite de cette évolution, on a critiqué les conceptions matérielles et formelles de l’enseignement littéraire: la « literarische Bildung » n’est ni une simple connaissance de la tradition littéraire ni une connaissance des genres littéraires et des caractéristiques formelles (voir Waldmann, 1990). Au contraire, l’idée de « literarische Bildung » a été définie comme connaissance des traditions littéraires, des compétences de réception adéquate et comme capacité d’apprécier la lecture littéraire (voir Rosebrock 2005). On insiste ainsi sur la notion de savoir comment lire la littérature et comment en tirer parti sur le plan personnel, et on la distingue du savoir sur la littérature.
En conséquence, les programmes visent à initier les étudiants à différents genres et œuvres, mais aussi à développer une attitude positive à l’égard de la lecture et à stimuler les pratiques de lecture. Ce dernier point est souligné dans tous les programmes scolaires allemands et il est largement reconnu comme l’un des principes directeurs des Etats de la République Fédérale. La littérature doit être vécue comme une source d’enrichissement personnel. Cela est aussi vrai pour les Pays-Bas (surtout les classes 1 à 9). Une des tâches importantes concernant un cadre de l’EL est de comparer les buts pédagogiques des différents Etats membres, y compris les approches méthodologiques de l’enseignement littéraire.
1.3 Enseignement primaire et secondaire : de l’apprentissage avec la littérature à l’apprentissage sur la littérature ?
Le rôle de la littérature dans le cadre de l’enseignement de la langue varie considérablement du primaire au secondaire, notamment au niveau du lycée. Si, dans l’enseignement primaire et au collège, la lecture et la littérature sont intégrées dans d’autres domaines de l’apprentissage et de l’enseignement de la langue – apprendre à lire, les arts et l’éthique – plus tard, dans l’enseignement secondaire, la littérature peut même recevoir un statut de discipline. Ainsi, aux Pays-Bas, la littérature est une discipline à part entière (dans le cadre de l’apprentissage du néerlandais), comme elle l’était aussi dans l’ancienne République démocratique allemande (RDA).
Plus les étudiants sont avancés, plus l’enseignement de la littérature conserve des traces explicites des études littéraires et s’intéresse aux différentes approches universitaires. Au niveau du lycée, la « littérature » sert souvent de propédeutique aux études littéraires à l’université. Dans la formation des enseignants, les études littéraires ont donc une influence didactique considérable (Rijlaarsdam/Janssen 2006 ; Goodwyn/Findlay 2002). Cette approche a déjà été critiquée parce qu’elle est déjà dominante au niveau du collège et à la fin du lycée et parce qu’elle ne tient guère compte des apprenants à ce stade (Goodwyn/Findlay 2002 ; Kämper-van den Boogaart 2005).
En général, ce changement correspond à une réorientation de la priorité donnée à l’apprenant dans les premières années scolaires sur les œuvres littéraires et sur leur réception « adéquate » dans les classes ultérieures.
En Allemagne, le but principal de la lecture littéraire à l’école primaire est d’introduire et d’initier les étudiants à cette lecture de la littérature pour qu’ils puissent y trouver du plaisir et développer des habitudes de lecture régulières. On y insiste sur les expériences littéraires en recourant souvent à des méthodes créatives. La connaissance des genres est déjà un objectif dans le secondaire. L’histoire littéraire et d’autres contextualisations de la littérature et de sa réception sont introduits à partir de la classe 8. Ce savoir particulier vise souvent à aider l’interprétation et devrait permettre une utilisation et un transfert souple.
Une des questions essentielles est donc de savoir si la réception « adéquate » est définie par rapport à l’œuvre littéraire, par rapport à l’apprenant ou par rapport au texte et à l’apprenant (voir Kämper-van den Boogaart 2005).
1.4 Canon et critères de sélection des textes
L’idée de canon s’applique généralement au secondaire ou est discutée par rapport à ce cycle. Conformément à l’acception large de « Bildung » et de culture (voir point 1.1), la priorité donnée au canon a fait l’objet de critiques. Les chercheurs soulignent que le « thème du canon » a été remplacé par le « problème du canon » (voir Korte 2002) : au lieu de suivre un canon explicite, les critères qui reflètent le processus d’apprentissage et ses objectifs doivent présider à la sélection des textes.
Face à la dynamique des sociétés européennes, un canon du patrimoine littéraire national est souvent non seulement inapproprié mais aussi exclusif. On ne dispose pas – estime-t-on – d'un cadre de travail stable pouvant légitimer un tel canon. Dans le cadre des études culturelles, la recherche sur le canon a pris une grande importance. Jan Assmann a souligné que la mémoire culturelle est assurée par le canon. Les tendances à la « canonisation » doivent offrir une réponse à l'instabilité de la société (voir Assmann 1997).
Malgré la critique du canon, il est aussi reconnu que, dans les contextes occidentaux, l'enseignement littéraire canonique contribue encore au capital culturel des individus (voir Bourdieu).
C'est pourquoi, si l'idée de canon a fait l'objet d’un débat critique depuis les années 1970, on relève une tendance assez forte au canon dans les pays occidentaux. Ainsi, le programme national d’enseignement en Grande Bretagne insiste sur « le patrimoine littéraire anglais » (Goodwyn/Findlay ; 2002). En outre, le canon est réintroduit lorsque l’on procède à des évaluations centrales. Le « Zentralabitur » allemand contrôle effectivement quels sont les textes lus, au moins au niveau du lycée.
En général, on s’attend à ce que les critères de sélection des textes procèdent en partie de la lecture de textes canoniques puisque l'introduction aux genres et à l'histoire littéraire s'appuie sur des textes exemplaires.
Dans l'enseignement primaire, des genres typiques peuvent être définis et on utilise généralement un canon implicite d'œuvres littéraires bien connues au niveau national voire international. Dans le cas de l'Allemagne, les principaux genres sont la littérature folklorique, les poèmes pour enfants et la littérature enfantine en général. En l’occurrence, la littérature enfantine internationale représente une part étonnement élevée. Souvent, la lecture d'une œuvre littéraire avec des jeunes élèves a lieu dans le cadre de l'acquisition d'un savoir « mondial » par le biais de la lecture ou d'éducation éthique (par exemple, gestion des conflits dans la classe ou amitié). Trois objectifs principaux de la lecture littéraire pour les jeunes peuvent être distingués : la possibilité d’aborder un thème spécifique (amitié, famille, aventure…) ; une introduction aux spécificités de la littérature et de la lecture littéraire ; un renforcement de la motivation à lire ces textes (voir Rosebrock 1997). Ces objectifs servent aussi de critères pour la sélection des textes.
Pour l'enseignement secondaire, les genres deviennent plus élaborés (roman, tragédie, genres lyriques). Des connaissances sur la littérature, l'histoire littéraire, l'économie, les contextes économiques, philosophiques et sociaux sont également introduites. La littérature mondiale canonique est aussi représentée. Si l’on privilégie l’approche axée sur l'apprenant, la sélection du texte est plus influencée par des considérations de développement et d'intérêt des élèves. Ainsi, les approches thématiques peuvent-elles servir de principes organisationnels (par exemple : conception de l'amour à travers l'histoire littéraire) et la littérature pour adolescents peut être lue. De même, les élèves peuvent participer au choix des ouvrages.
Dans de nombreux pays européens (par exemple en Allemagne, aux Pays Bas), on a introduit une littérature pouvant représenter la structure multiculturelle de la société (par exemple littérature d'immigrés).
Dans l'ensemble, les systèmes éducatifs diffèrent selon la marge de liberté dont les enseignants disposent pour élaborer l'enseignement littéraire. Aux Pays Bas et en Allemagne, la sélection des textes et aussi les approches méthodologiques sont largement dépendantes des choix des enseignants. La situation en Grande-Bretagne est probablement très différente à cause du Programme national d’enseignement.
1.5 Lecture littéraire, compétences et capacités de lecture
S’occuper de littérature veut dire lire des textes. La proportion de la littérature dans le cadre des programmes de lecture varie probablement beaucoup. Depuis les années 1970 en particulier, des textes pragmatiques et d'autres médias ont été introduits dans les cours de langue maternelle.
Une des raisons pour lesquelles de nombreux pays visent à encourager les étudiants à lire de la littérature et à développer des habitudes stables de lecture dans leur temps libre est la conviction que cette pratique aide à développer le lettrisme. Une bonne lecture fictionnelle devrait déboucher sur l'automatisation de la reconnaissance des mots mais aussi sur des connaissances textuelles en général.
Il a toutefois été souligné que les politiques qui privilégient l'encouragement des étudiants à lire et l'offre d'expériences positives avec des livres pourraient ne pas réussir à développer des compétences de lecture, surtout avec des élèves issus de milieux où la lecture ne fait pas partie du mode de vie. Si l'enseignement ne forme pas expressément à des compétences de lecture, le présupposé d'une telle politique n'est pas rempli : la lecture et la lecture littéraire peuvent continuer d’être une tâche difficile et l’objectif que la lecture est un plaisir pour le lecteur ne correspond pas à l'expérience vécue par les élèves (Pieper et autres. 2004).
L'enseignement du programme de lecture a donc attiré de plus en plus l'attention en Allemagne, notamment depuis PISA.
Dans le contexte de l'enseignement de la lecture, les textes littéraires offrent des possibilités de développer une conscience du langage : « c'est la littérature qui incarne les sens du langage dans ses formes les plus subtiles et les plus complexes qui doivent englober les nuances sémantiques et l'ambiguïté » (voir Fleming 2006). Un emploi élaboré du langage exige souvent une lecture attentive : un effort particulier est nécessaire pour construire le sens au niveau de la cohérence locale et globale, ainsi qu'à celui de l'intégration de connaissances antérieures puisque de nombreux textes littéraires prennent des tournures inattendues. L'utilisation de textes littéraires à des fins d'enseignement de la lecture pourrait donc au moins offrir une rencontre avec la littérature, surtout pour les étudiants qui n'ont pas vécu la littérature comme faisant partie de leur vie culturelle mais qui ont appris qu'elle fait partie d'une « Bildung » particulière qui leur est étrangère.
On pourrait ensuite défendre l’idée qu'une conception intégrée de la langue et de la littérature est plus adéquate ou préférable (voir Fleming 2006).
La question très débattue des spécificités de la lecture littéraire doit être aussi considérée.
Les études empiriques sur la littérature ont souvent insisté sur le fait que les lecteurs adoptent une attitude particulière à l'égard des textes littéraires et que cette attitude domine le processus de lecture. En conséquence, le facteur essentiel semble être le lecteur plutôt que le texte. Dans ce cas, on ne peut mettre en avant une compétence de lecture spécifique aux caractéristiques textuelles : il faudrait aussi et surtout prendre en compte tout un éventail de variables personnelles.
Toutefois, les données tirées de l'enquête PISA donnent un point de vue différent. Cette enquête internationale concerne les capacités de lecture sous l'angle des tâches requises en matière de lecture dans les sociétés modernes. Les modèles utilisés étaient fondés sur les recherches de la psychologie cognitive en matière de lecture, axées généralement sur la lecture de textes pragmatiques. Mais PISA visait à tester les capacités de lecture au sens large et comprenait donc des textes continus et discontinus. Dans le premier groupe, quelques textes narratifs ont été inclus. Artelt/Schlagmüller (2004) ont analysé les données de PISA sur différents types de textes et font remarquer que, d'après les données empiriques, la lecture de textes littéraires a une dimension distincte de la capacité à lire. Pour décrire cette dimension, ils soulignent tout d'abord que les tâches que demandent les textes littéraires aux lecteurs dépendent de l'idée de la littérature qui est postulée. Toutefois, certaines caractéristiques structurelles peuvent être considérées comme spécifiques dans tel ou tel contexte culturel, à savoir ; ce sont ces caractéristiques qui ont été apparemment les plus importantes dans le cas de PISA : les traits stylistiques qui auxquels les lecteurs ne peuvent s’identifier, les figures de rhétorique telle que la métaphore, et les symboles et l'allégorie (Artelt/Schlagmüller 2004, 177/78). Notons que, dans quatre pays seulement, les étudiants ont mieux réussi avec les textes littéraires qu'avec les autres (Russie, Brésil, Portugal et Hongrie). L'Allemagne qui insiste traditionnellement sur la lecture littéraire a obtenu de meilleurs résultats avec d'autres types de textes.
Les caractéristiques structurelles mises en évidence par Artelt/Schlagmüller correspondent en partie aux dimensions systématiques, telles que la compréhension de la fiction et la polyvalence. Si elles paraissent aussi dans les textes pragmatiques et ne concernent pas exclusivement la littérature, leur récurrence doit amener à considérer un texte comme littéraire.
Il ressort des recherches menées sur la littérature enfantine que les normes littéraires traditionnelles sont fortement présentes dans ce genre. En prenant des modèles textuels structuralistes, Maria Lypp souligne que l'équivalence et la variation sont des traits fondamentaux (voir Maria Lypp 2000).
Le débat actuel concerne d'autres caractéristiques encore plus dominantes dans la lecture littéraire. Sont inclus certains aspects relevant de la motivation de la capacité à communiquer sur des textes (Rosebrock 2005), les recherches sur la socialisation de la lecture ayant montré l'importance de proposer des cadres communicationnels sur la lecture.
Des modèles plus récents de capacités de lecture ont aussi privilégié la construction de modèles situationnels qui semblent particulièrement pertinents pour la littérature, notamment avec la description de l'aspect imaginatif de la lecture littéraire. Un lecteur compétent construit un modèle adéquat concernant l'intrigue, les personnages, l'espace et le motif.
En général, l'une des difficultés majeures est la distinction nette des spécificités et leur gradation. Comment peut-on décrire la progression de l'interprétation de textes littéraires en termes de modèles de compétence ? Que pourrait être une gradation permettant de saisir la polyvalence ou de comprendre le caractère fictionnel d'un texte ?
En Allemagne, la progression du programme est implicitement liée à l'accumulation des connaissances sur les genres, sur les aspects formels et sur les capacités à contextualiser des textes littéraires grâce à cette accumulation des connaissances sur la littérature et son histoire culturelle. Ainsi les connaissances doivent être accumulées et être utilisées de manière flexible pour que l'interprétation s'adapte mieux au texte. Dans ce prolongement, certains aspects des études littéraires sont intégrés ultérieurement dans l'enseignement secondaire et des compétences peuvent être définies par rapport à différentes approches. Le concept de compétence peut être influencé par le paradigme théorique de prédilection (voir Fleming 2006).
Cette conception ne jette guère, ou pas, de lumière sur le développement cognitif des compétences dans la lecture littéraire et reflète dans une large mesure les expériences et habitudes de l'enseignement de la littérature. Il est nécessaire, notamment avec les jeunes élèves, d'être conscient du fait qu'une interprétation adéquate du texte doit être adaptée au potentiel des apprenants. Les faits viennent attester que les jeunes apprenants peuvent aborder une littérature qui suit clairement les règles du genre mais qu'ils ont des difficultés avec une écriture novatrice sur le plan esthétique.
Une nouvelle enquête qui évalue les compétences en anglais et en allemand dans les pays germanophones a utilisé le modèle situationnel et ses différentes dimensions pour proposer des gradations (DESI).
Le cadre théorique et les instruments n'ont pas encore été publiés, mais certains progrès devraient être faits. L'enquête DESI utilise aussi un modèle général de capacités de lecture. Des hypothèses conduisant à des modalités de son application pour la lecture littéraire sont développées par Willenberg (Willenberg 2006).
1.6 Lecture littéraire, évaluation et « literarische Bildung »
Si pour la lecture générale des modèles de compétence ont été mis au point qui offrent des gradations et peuvent évaluer des niveaux et une progression, ce n'est pas le cas dans les spécificités de la lecture littéraire. La compréhension des textes littéraires est souvent évaluée en fonction de tâches générales de compréhension des textes. On a tenté d'évaluer la construction imaginative du sens, la compréhension de caractéristiques isolées tels que la métaphore, la structure narrative ou les spécificités de genre (voir Fleming 2006 pour des exemples d'éventuelles affirmations de compétence). Si l'évolution dans la littérature et les médias débouche sur un mélange accru des genres et sur une distinction plus floue entre fiction et non fiction, il semble qu'à des fins d'évaluation, il est cependant plus approprié de s'appuyer sur des textes exemplaires où les élèves peuvent tirer parti des connaissances et compétences qu'ils ont acquises.
Pour de nombreux textes, l'interprétation « adéquate » au sens philologique n'est possible qu'en intégrant les connaissances contextuelles pertinentes qui devraient être proposées aux apprenants. Dans le domaine de la littérature en particulier, une expérience variée de la lecture est alors très utile. On peut douter qu'elle puisse être proposée dans le cadre d'un enseignement institutionnel. Ainsi, l'évaluation peut soit utiliser des textes littéraires sans fortes connotations soit offrir les connaissances spécifiques nécessaires ou élaborer une interprétation adéquate qui ne rend pas de telles connaissances indispensables. Cela est particulièrement vrai dans le cas des évaluations comparables sur le plan international, puisqu'un programme de littérature unifié n'est pas à l'ordre du jour.
C'est notamment dans le domaine de la littérature que les tensions entre les buts généraux de l'éducation et une orientation sur l'évaluation deviennent évidentes. Les approches dominantes sont particulièrement rétives à la notion de test. On ne peut ramener la « literarische Bildung » à l'apport des étudiants en ce qui concerne des tâches spécifiques en matière de lecture.
2. L'enseignement de la littérature en langue étrangère
S'agissant de la lecture littéraire en cours de langue étrangère, on doit soulever essentiellement les mêmes questions que dans l'enseignement de la littérature en langue maternelle. Les buts de l'enseignement de la littérature sont semblables, bien qu'une certaine insistance sur l'apprentissage linguistique soit à prévoir. La littérature est considérée comme un support authentique pour initier les étudiants à telle ou telle langue et culture. Des choix de textes judicieux offrent des possibilités de réactions personnelles; cette approche a été renforcée de telle sorte que la proportion de littérature authentique dans le cadre des cours de langue a augmenté au cours des vingt dernières années. S'agissant du cadre des langues de scolarisation, le potentiel de lecture littéraire à travers les langues, pour comparer les traditions et connaître mieux les diverses formes culturelles et évolutions, doit être souligné (voir Lazar 1993).
3. Perspectives : La littérature dans le cadre pour les langues de scolarisation
Dans le débat en cours sur les programmes de lecture, les compétences de lecture et la lecture littéraire, on a défendu jusqu'à présent l'idée que l'apprentissage institutionnel doit créer des environnements d'apprentissage permettant de bonnes performances et des progrès indépendamment du milieu social et culturel d'origine des élèves. S'agissant de la littérature, force est de reconnaître que les pratiques culturelles vécues dans le cadre de la socialisation ont une grande influence. Une approche intégrant la littérature dans les programmes de lecture permettra des rencontres avec la littérature. Pour permettre l'enseignement littéraire dans son sens spécifique, une double voie doit être empruntée : l'apprentissage institutionnel doit développer les compétences de lecture pour que les élèves soient capables de lire entre autres des textes littéraires. Elle doit aussi offrir des possibilités de participer à la vie culturelle et de vivre la littérature comme un élément important sur le plan personnel. Elle doit donc trouver l'équilibre entre une approche canonique et une démarche axée sur l'apprenant. Ainsi, le potentiel de la « literarische Bildung » pourrait être réalisé. Un cadre pour les langues de scolarisation doit aussi s'intéresser particulièrement à la lecture littéraire dans le cadre des langues d'enseignement et des langues étrangères. Les perspectives transculturelles doivent être développées pour éviter tout préjugé social et toute perspective monoculturelle. Les limites de l'évaluation des compétences doivent être reconnues. Dans un tel cadre, la littérature doit donc contribuer à l'intégration et à la cohésion sociale.
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Willenberg, Heiner (2006): Vom Wort zum mentalen Modell. Die Lesetheorie von DESI in der unterrichtspraktischen Anwendung. In: Zeitschrift des baden-württembergischen Landesinstituts (LEU). Stuttgart (in press).
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